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Formation à la maîtrise de l'information : la fuite des cerveaux ou les cerveaux qui fuient ?
Formation à la maîtrise de l'information
La fuite des cerveaux ou les cerveaux qui fuient ?
On déplore la fuite des cerveaux. On se plaint que nos têtes pensantes que l'on a bien formées partent ailleurs faire profiter de leurs compétences. Mais à quoi est due cette fuite des cerveaux ? Et surtout, la fuite des cerveaux ne cacheraient-elles pas une autre fuite : celle des cerveaux qui au lieu de s'enfuir fuient ?
Cela revient donc à s'interroger sur les notions d'intelligence, de performance et de stratégie. Et comment former quelqu'un autrement qu'en faisant baigner un cerveau étanche dans un univers social épanouissant ? En somme, quelle place prend la formation à la maîtrise de l'information dans la formation de cerveaux informés ?
1) Intelligence, performance et stratégie
1.1) L'apprenance passe par la maîtrise de l'information
L'apprenance, l'apprendre à apprendre, est une notion essentielle que les élèves, les jeunes et même les jeunes adultes s'efforcent d'acquérir et tentent de maîtriser. Apprendre à apprendre, c'est apprendre à gagner du temps dans ses apprentissages, à accélérer le processus et la stratégie de mémorisation. L'apprenance, c'est accélérer et accroître les performances de son cerveau en usant de stratégies d'apprentissage moins fatigantes et moins contraignantes.Mais comment apprendre à apprendre convenablement ? Comment développer ces méthodes d'apprentissage qui semblent relever de la magie, du fantastique voire du miracle ? Apprendre à apprendre passe non seulement par un travail personnel (le développement de sa propre stratégie cognitive) mais aussi par une formation "générale" à ces techniques et stratégies.
Apprendre à apprendre est par essence intransdisciplinaire (néologisme contraction de intradisciplinaire et transdisciplinaire), c'est-à-dire que chaque enseignement, chaque acte pédagogique, chaque action éducative, permet d'aider à apprendre à apprendre. La pédagogie est l'acte primordial de l'apprenance. Toutefois, l'apprenance ne saurait se contenter du travail pédagogique, aussi interactif et interacteur soit-il. L'apprenance passe donc par un acte personnel, des actions collectives (échanges méthodologiques plus ou moins formels, débats, discussions, exercices de groupes, etc.) et un "chapeautage" par des pédagogues et formateurs performants et surtout efficaces.
Concrètement, la formation à la maîtrise de l'information offre un enseignement utile, indispensable à l'apprenance. Apprendre à maîtriser l'information, c'est apprendre à se repérer, à chercher, à observer, à choisir, à décider, à trier, à sélectionner ce qui est utile parmi un amas d'informations plus ou moins utiles. L'apprentissage vers la maîtrise de l'information permet d'acquérir des stratégies d'apprentissage qui se perfectionnent au fur et à mesure de leurs sollicitations. Grâce à la formation à la maîtrise de l'information, il ne s'agit pas seulement d'acquérir des connaissances et compétences infodocumentaires, mais bel et bien de découvrir des stratégies pour se créer de véritables boussoles et couteux suisses mentaux. Confronté à une situation problème (un amas d'information parmi lesquelles pullulent désinformations, informations non fiables, informations obsolètes, etc.), l'élève doit apprendre à apprendre, apprendre comment faire, comment agir, comment réagir et comment intégrer cet apprentissage pour en faire un véritable savoir ? L'élève va ainsi découvrir des stratégies, expérimenter ses hypothèses (est-ce efficace ? Gère-je bien mon temps ? Ce que j'ai choisi est-il juste et pertinent ?), les valider, les confirmer (en les testant et en les vérifiant) et, à terme, les améliorer, les perfectionner. La formation à la maîtrise de l'information est un apprentissage continu, infini : il s'agit de tendre vers cet infini de plus en plus rapidement et surtout de plus en plus efficacement. La problématique de l'information-surinformation-désinformation-malinformation est d'autant plus importante à aborder qu'elle fonde des compétences transférables universellement, non seulement dans la vie professionnelle, mais aussi dans la vie personnelle.
1.2) Connaissances, compétences et attitudes
Les compétences sont les vecteurs essentiels de l'union des savoirs dans le cerveau : savoir quoi ranger et où dans le cerveau. Savoir sélectionner l'information utile, c'est éviter de bâtir des connaissances inutiles ou pire, erronnées : les déconnaissances. Les déconnaissances se basent sur des désinformations, même si ces dernières sont accolées à de véritables informations, qu'elles soient pertinentes ou non. Ces déconnaissances sont d'autant plus graves qu'elles fondent des désavoirs. Ces désavoirs sont alors propagés par le sujet, sûr de son fait, et repris comme des informations par d'autres sujets qui les fonderont éventuellement en autant de déconnaissances et de désavoirs en fonction du degré de crédibilité et de conviction du détenteur de ces désavoirs.Il ne suffit toutefois pas d'être compétent, il faut avoir des connaissances. Ces connaissances qui deviendront savoirs permettront au sujet non seulement de savoir-faire, mais aussi de savoir. Cela fonde la culture du sujet et son intégration dans un environnement social. L'Education Nationale a pour fonction de former des citoyens doués d'esprit critique et d'une culture commune et personnelle riche qui fondera l'identité de l'élève et son inclusion dans la société. Ainsi, la formation à la maîtrise de l'information n'est pas une fin en soi. Il s'agit d'une étape perpétuelle qui aide à accrocher et asseoir les connaissances.
Outre ces savoir-faire, ces savoirs, c'est un ensemble d'attitudes sociales que le sujet doit développer. Ces attitudes, c'est savoir écouter, savoir s'exprimer, savoir s'imposer, savoir changer d'avis, en somme être adaptable.
1.3) Etre intelligent, ce n'est pas seulement être cultivé !
L'intelligence ne saurait se cantonner à la culture, loin s'en faut. L'intelligence est une combinaison entre la débrouillardise, la culture, le savoir, les attitudes, voire la manipulation.Petit aparté sur le parallèle que je fais entre intelligence et manipulation : dans nos sociétés, il faut apprendre à se débrouiller par soi-même pour obtenir ce que l'on veut. Manipuler, c'est user de stratagèmes que certains qualifient d'immoraux, pour atteindre ses fins. Or, on a vu que l'apprenance, cette "aptitude" qui fonde les cerveaux performants (nous y reviendront après), passe par le développement de stratégies d'apprentissage. La manipulation constitue une stratégie d'apprentissage. Pas un apprentissage de connaissances ou compétences comme la formation à la maîtrise de l'information, mais un apprentissage comportemental : développer une attitude sociale, savoir se placer voire s'imposer dans la société.
Etre intelligent, cela équivaut tout d'abord à avoir un cerveau efficace. Cela signifie que l'on a développé des stratégies d'apprentissage "exceptionnelles" qui permettent de retenir des informations aisément, confortablement avec un effort moindre.
Etre intelligent, cela consiste ensuite à avoir des connaissances fiables, solides et facilement réexploitables. Ces connaissances s'étant construites et se construisant grâce à ces stratégies d'apprentissages se parfaisant jour après jour.
Etre intelligent, cela repose aussi sur l'adoption d'attitudes appropriées. Savoir quoi dire, quand, comment, où, à qui et pourquoi.
L'adaptabilité est le maître-mot de l'intelligence. Etre intelligent, c'est être cet acteur au changement de rôle continu. C'est surtout être un excellent acteur, c'est-à-dire jouer des rôles maîtrisés aux moments opportuns : savoir comment agir et réagir en fonction des personnes avec qui l'on est et du contexte dans lequel on se trouve.
Donc si on veut former de futurs sujets intelligents, il convient de travailler sur tous les points listés précédemment. Sans aller jusqu'à la manipulation, former à maîtriser l'information constitue le travail idéal pour fonder des stratégies d'apprentissage de base se parfaisant au fil de la vie du sujet. Ceci permet d'éviter que les cerveaux des jeunes ne fuient ...
2) Faire baigner un cerveau étanche dans un univers social épanouissant
2.1) Construire des cerveaux étanches
Former les jeunes, c'est permettre à la société d'évoluer et offrir à ces jeunes l'opportunité de s'intégrer et de s'épanouir dans la société. Aussi, il est indispensable d'offrir aux jeunes un bagage suffisant pour éviter les fuites de connaissances et les défauts de construction des savoirs. Nous n'allons pas entrer dans les propriétés du fonctionnement cognitif de l'élève, mais dans l'emballage qui abrite les connaissances, compétences et aptitudes. Cet emballage doit nécessairement être solide et "élastique" pour résister à un contenu qui s'enrichit de jour en jour. Pour élaborer un emballage de qualité, sans fioritures, il est nécessaire de construire une apprenance continuelle et évolutive : un continuum du plus petit âge jusqu'à la fin de la vie doit se mettre en place. Mais cet emballage risque de rompre à tout moment si les mécanismes d'apprentissage ne sont pas maîtrisés. C'est pourquoi le rôle des pédagogues et éducateurs consiste à aider le sujet à se construire son propre emballage en l'informant et le formant sur les stratégies du savoir bien apprendre. Pour apprendre, le sujet doit tout d'abord comprendre. Il faut donc que la construction intellectuelle fasse sens pour lui. Cela passe non pas par des exposés de théories universitaires, mais en l'aidant et en l'accompagnant dans ses apprentissages en lui présentant des techniques d'apprentissage et en l'aidant à les mettre en oeuvre.On parle de techniques d'apprentissages. Mais sortons de l'apprentissage comme intégration d'information pour les transformer en savoir, en considérant l'apprentissage comme un ensemble de facteurs. Pour apprendre convenablement, outre les techniques et stratégies d'apprentissage, il faut considérer les conditions d'apprentissage. Cela revient à considérer les conditions extérieures à l'élève lui-même comme l'ambiance d'apprentissage, le cadre de vie du sujet, le potentiel "chance socioculturelle" offert notamment par les proches du sujet grâce à des sorties, des contacts intellectuels divers (soulignons tout l'intérêt de l'Ecole dans cette ouverture culturelle !), les rapports du sujet avec d'autres sujets, etc.
L'ambiance, les phénomènes de groupe, les relations sociales, l'environnement socioculturel de l'élève sont autant de facteurs facilitateurs ou au contraire de facteurs qui freinent les apprentissages, même si le sujet dispose des stratégies d'apprentissage les plus évoluées. Outre ces facteurs externes, il y a les facteurs internes au sujet. On retrouve ainsi la volonté, le courage, la persévérance mais aussi le bagage originel du sujet. Par originel, j'entends le bagage initial que le sujet s'est construit grâce à ses rencontres, ses contacts, ses apprentissages, etc. Ainsi, construire un cerveau étanche induit un travail du sujet lui-même avec l'aide de pédagogues, éducateurs et éventuellement médecins (en cas de défaillance due à un handicap, mais je ne vais pas entrer dans la considération de sujets handicapés tant ce sujet est complexe et mériterait un développement particulier).
Construire un cerveau étanche implique aussi un environnement propice aux apprentissages. Cet environnement idéal se retrouve dans nos classes d'Ecoles. L'élève a en effet conscience qu'il est là pour apprendre : il met donc en marche ses stratégies d'apprentissage, en expérimente de nouvelles, etc. L'élève, dans ce cadre, est en interaction avec d'autres élèves et peut donc construire son esprit critique et échanger sur des stratégies d'apprentissage. L'élève est en interaction avec des professionnels qui contribuent à lui apprendre à apprendre, qui l'aident à expérimenter, qui l'accompagnent dans ses erreurs, qui l'assistent pour résoudre les situations-problème, etc. L'élève se trouve aussi dans un environnement spécialement conçu pour l'apprentissage : un cadre classe fort de discipline, de règles, etc.
2.2) Colmater les cerveaux défaillants
Construire des cerveaux étanches est une étape essentielle pour construire des individus citoyens aptes à apprendre tout au long de leur vie. Mais il se peut que certains cerveaux n'aient jamais été rendus étanches, soit suite à un accident de la vie, soit parce que les stratégies d'apprentissage, efficaces un temps, ne suffisent plus en parallèle à l'évolution du sujet dans son environnement. Ou alors, tout simplement en raison de l'adolescence ...Concrètement, qu'est-ce qu'un cerveau défaillant ? C'est un sujet qui n'apprend pas aussi bien qu'auparavant. C'est un cerveau qui n'enregistre plus. C'est un cerveau qui s'arrête à un moment "t", qui se met en pause, en veille ou en mode "économie d'énergie". Les connaissances et compétences antérieures, intégrées, ne sont bien évidemment pas perdues. Mais soit elles ne suffisent plus, soit le sujet les "inhibe". La principale cause de cette inhibition : l'adolescence. L'adolescence est un moment délicat où le sujet grandit, évolue. Cette perturbation est essentielle et normale. Mais elle engendre de telles évolutions tant sur le plan physique que psychique que les processus d'apprentissage ne sont plus sur le devant de la scène mais en arrière-plan. Parler de cerveau défaillant parait extrêmement péjoratif, mais il s'agit d'une défaillance stricto sensu : l'apprentissage fait défaut. Cette défaillance est due à la fainéantise cognitive, à la rébellion intellectuelle, à la pause mentale.
Alors comment colmater ces cerveaux défaillants ? Comment faire en sorte que l'apprendre à apprendre ne soit pas mis de côté et continue à travailler ? il s'agit là de la mission d'éducation et d'enseignement des adultes : développer des stratégies pédagogiques pour continuer à faire en sorte que les élèves mobilisent leurs savoirs, savoir-faire et attitudes et continuent à faire fonctionner leur équipement d'apprenance. Il n'existe pas de recette miracle, ces stratégies pédagogiques varient en fonction des élèves. Néanmoins, cette mission est essentielle. L'adolescence est une période clef où se fondent les techniques et stratégies d'apprentissage qui constituent le socle de la construction future des savoirs du futur citoyen.
2.3) Cerveaux qui fuient ou qui s'enfuient
Une fois le cerveau bien emballé avec un mécanisme de construction des savoirs élaboré, évolué et évolutif, il faut le faire travailler. Etre intellectuellement actif est essentiel dans nos sociétés. Nos cerveaux sont mis continuellement à l'épreuve : personne ne peut se prétendre intellectuellement frustré. Alors pourquoi certains cerveaux s'enfuient-ils ? Pourquoi après avoir bâti un processus d'apprentissage performant les cerveaux tendent-ils à partir ? La réponse est simple : les sujets, si bien formés, s'informent avec une efficacité déconcertante. Et ils ont rapidement compris qu'en partant, ils s'épanouiraient d'autant plus. Mais attention aux fausses promesses qu'on peut leur faire ...La fuite des cerveaux est extrêmement dommageable. Dommageable pour le transfert populaire des savoirs entre individus, même si théoriquement le savoir n'a pas de frontière (la frontière de la langue étant pourtant prégnante) et peut sauter de lieu en lieu.
Outre la fuite des cerveaux, il convient de s'interroger sur les techniques, stratégies et méthodologies d'apprentissage, ailleurs. Où se situe la France par exemple ? D'où vient le problème ? Le problème vient d'un centrage sur les connaissances et/ou compétences et/ou attitudes. Or, il convient de travailler à la construction de ces savoirs comme on l'a vu précédemment. Une fois cette construction de base accomplie, le sujet s'alimente en fonction de ses centres d'intérêt mais surtout il s'alimente d'autant mieux, d'autant plus efficacement et avec d'autant plus de plaisir ! Le plaisir, voilà le maître-mot du savoir. Si tu prends du plaisir à apprendre, si tu prends du plaisir à mettre en oeuvre ces connaissances, compétences et attitudes, et si tu prends du plaisir à apprendre continuellement, alors pourquoi fuir ?